Des photos-poèmes

La peinture, j’y étais assez étranger avant d’y prendre goût à travers l’œuvre de Shafic mais surtout en me baladant dans les musées avec Alma. Alma voulait être peintre, et c’est en l’observant observer des toiles, s’émerveiller devant les formes et les couleurs que je me suis mis à aimer la peinture, à l’adorer et à penser que rien ne vaut une peinture. Le peintre tourne tout en merveille : l’horreur, les massacres et la mort. Son unique but est de créer de la beauté et ce geste m’émeut.

Je voue un culte au peintre Miró. Ses couleurs m’éblouissent. J’admire son parcours artistique et la remise en question perpétuelle qu’il a portée sur son travail, dont ses Toiles brûlées, où il a déchiré puis mis le feu à ses anciennes peintures.

J’ai eu la chance de visiter sa fondation à Barcelone, visite que je comparerai à ce que le pèlerinage à La Mecque ou le chemin de Compostelle sont pour certains.

Miró disait : « Plus jamais Barcelone. Paris et la campagne jusqu’à ma mort ! […] Il faut devenir un Catalan international, un Catalan casanier n’a ni n’aura aucune valeur dans le monde. » Je pense la même chose pour Beyrouth et le Liban. Plus jamais Beyrouth. Paris et la campagne jusqu’à ma mort ! Il faut devenir un Libanais international, un Libanais casanier n’a ni n’aura aucune valeur dans le monde.

Sa pensée allait plus loin : « Ces histoires de nations, c’est de la bureaucratie. Il ne s’agit pas d’être un bureaucrate mais un homme. En devenant vraiment un homme, on devient capable de toucher tous les hommes. […] Mais, pour devenir vraiment un homme, il faut se dégager de son faux moi. Dans mon cas, il faut cesser d’être Miró, c’est-à-dire un peintre espagnol appartenant à une société limitée par des frontières, des conventions sociales et bureaucratiques. » Se dégager de son faux moi, cesser d’être Sabyl, d’être un écrivain libanais sont les trois tâches que j’essaie d’accomplir sans cesse. Est-ce grâce à cette distance que Miró essayait de garder avec ses origines, avec son faux moi, qu’il est parvenu à peindre l’un de ses plus beaux tableaux, La Ferme, inspirée de la maison familiale, celle de son enfance à Mont-roig del Camp, en Catalogne, ce lieu quasi sacré où le peintre a fait l’apprentissage de la vie et de l’art, au plus près de la nature ? C’est Hemingway qui a acheté cette toile dans un café parisien alors que Miró, désespéré, ne parvenait pas à vendre ses tableaux. Hemingway, qui n’aurait échangé pour rien au monde cette œuvre, l’avait décrite ainsi : « Il y a là-dedans tout ce que vous sentez de l’Espagne quand vous y êtes et aussi tout ce que vous sentez quand vous n’y êtes pas, et que vous ne pouvez pas y aller. »

Je possède plus d’une dizaine d’ouvrages sur Miró. Le livre Ceci est la couleur de mes rêves est celui que je feuillette le plus souvent. Sur la couverture de ce livre est représentée une toile qui est composée d’une tache bleue et d’une inscription écrite à la main en deux parties, « Photo » en haut à gauche du tableau et « Ceci est la couleur de mes rêves » en bas à droite. Ce tableau fait partie d’un ensemble que Miró appelait les tableaux-poèmes.

J’aimerais réaliser des photos-poèmes de mes photos de famille. J’en retouche certaines, je travaille les couleurs comme un peintre le ferait sur sa toile, j’aimerais que chacune d’elles finisse par devenir le plus beau des tableaux.